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« Certains se demandent comment nous ferons pour que l’expansion du passif de la Banque du Canada ne débouche pas sur une inflation galopante quand l’économie se remettra en place. Je n’ai jamais pu écarter ce souci du revers de la main. D’autres s’inquiètent du risque opposé auquel nous expose la situation actuelle : la déflation, » a déclaré le 4 mai dernier Carolyn Wilkins, gouverneure adjointe senior de la Banque du Canada, exorimant l'ambivalence actuelle.
L’inflation n'est pas pour demain
En ce moment, les économistes ne s’inquiètent pas d’inflation, surtout pas avec la dépression actuelle du prix du pétrole, note Jean-Pierre Couture, économiste en chef et gestionnaire de portefeuille chez Hexavest. Exception faite du choc des deux guerres mondiales, note M. Couture, les seuls autres chocs qui ont créé une inflation significative tiennent aux pics pétroliers des années 1970. « Sans ces chocs, l’inflation a rarement dépassé 5%, commente-t-il. On a alors affaire à une inflation cyclique, ce qui est rarement un gros problème. »
La déflation projette l’ombre la plus menaçante à ce moment-ci; cependant, les trois économistes avec lesquels nous avons parlé ne s’en inquiètent pas particulièrement. « C’est un sujet important à court terme, surtout avec 35 millions de chômeurs aux États-Unis et 3 millions au Canada », dit Todd Mattina, premier vice-président et économiste en chef chez Placements Mackenzie. « La baisse de revenus et de production représente un choc immense sur la demande et crée des pressions déflationnistes, sans compter la chute du prix du pétrole et des denrées de base. »
Dés-inflation
« On prévoit de la désinflation plutôt que de la déflation, » soutient Sal Guatieri, économiste senior chez BMO Marché des capitaux, voyant cinq tendances à court terme pousser les prix à la baisse, mais sans jamais les faire entrer en zone déflationniste. 1) La hausse extrême du chômage et une concurrence féroce entre entreprises survivantes. 2) Un étranglement de la demande et des prix des denrées de base. 3) Une hausse de l’épargne chez les consommateurs qui vont réduire leurs dépenses. 4) Un déplacement vers le commerce électronique et le télétravail menant à une baisse des coûts pour les entreprises, qui vont répercuter ces économies sur le consommateur. 5) Un dollar US élevé qui va abaisser les coûts d’importation et maintenir les prix à la consommation à un bas niveau.
La menace essentielle de la déflation tient aux consommateurs qui, voyant une chute constante des prix, retardent leurs achats de façon à profiter de prix futurs plus bas. « Mais les prix sont en chute depuis 20 ans, objecte Jean-Pierre Couture. Les gens ont-ils retardé leurs achats? Je ne trouve pas convaincant l’argument déflationniste. »
Éviter la déflation et s’en tenir uniquement à la désinflation va dépendre de trois variables, affirme Todd Mattina : la durée du confinement, le rythme auquel les consommateurs vont revenir, et l’efficacité des politiques gouvernementales pour colmater les pertes et prévenir des faillites d’entreprises en série. Plus le temps passe, plus lourdes sont les menaces de déflation et même de dépression.
L’inflation au retour des beaux jours
C’est seulement quand l’économie retrouvera son niveau pré-pandémie que l’inflation deviendra un souci. La principale raison tiendra à l'afflux massif de liquidité provenant des banques centrales et des gouvernements du monde entier. Toutefois, après la crise de 2008, des injections identiques de la part des banques centrales dans le système financier n’ont déclenché aucune inflation.
Après 2008, explique Todd Mattina, « l’argent a retrouvé son chemin vers la Fed sous forme de réserves excédentaires des banques commerciales. Ces flux ne sont pas retournés dans l’économie : les banques n’émettaient pas de prêts et les ménages n’empruntaient pas ». Cette fois, la plus grande partie de la liquidité assurée par les banques centrales fait son chemin vers les gouvernements sous forme d’achats de bons du Trésor. « La Fed ‘monétise’ la dette, et tout cet argent pourrait éventuellement se retrouver dans l’économie réelle, » pense l’économiste.
Cela ne turlupine pas M. Guatieri. « La plus grande partie du ‘stimulus’ va simplement compenser les pertes immenses causées par le confinement plutôt que de stimuler la demande, note-t-il. Nous prévoyons que les banques centrales vont retirer cette liquidité (avant qu’elle ne suscite de l’inflation). »
Une inflation résultant du stimulus n’inquiète pas Jean-Pierre Couture non plus. « Les États-Unis et le Japon impriment de l’argent depuis des années sans qu’une inflation n’en résulte. » À une exception près, note-t-il : « Nous avons vu de l’inflation dans le prix des actifs, mais pas dans les biens de consommation. C’est un problème des banques centrales dont le mandat est de stabiliser les prix. Il leur manque un mandat de stabilisation des prix des actifs et il en résulte une instabilité financière. »
Il y a un développement qui pourrait exacerber l’inflation, reconnaissent Jean-Pierre Couture et Todd Mattina : la dé-mondialisation. « Les pressions croissantes exercées sur les multinationales pour qu'elles rapatrient certaines de leurs activités, explique ce dernier, risquent de mettre les chaînes d’approvisionnement mondiales en état de choc, et cela pourrait faire augmenter les coûts et les prix. »
Que faire?
Todd Mattina croit que les investisseurs devraient viser un ensemble d’actifs le plus résistant possible à tout scénario de déflation ou d’inflation, et recommande d’investir dans des fonds alternatifs liquides. « Ils ont une faible corrélation aux actions et aux obligations et une volatilité plus faible, » signale-t-il. Pour qu’un glissement de ce type soit un tant soit peu efficace, il recommande une allocation de 10% à 20% du portefeuille.
Si l’inflation menace de flamber, Sal Guatieri recommande de se déplacer vers des obligations indexées à l’inflation et d’acheter de l’or. Évitez les obligations nominales.
Jean-Pierre Couture conseille de garder un oeil critique sur les actions, tout particulièrement aux États-Unis, où les prix n’intègrent aucune possibilité de ralentissement et sont plutôt en « zone de perfection ». Au Canada, les évaluations sont plus raisonnables, mais le Canada est plus à risque à cause de l’endettement des ménages et du choc pétrolier.